Last letter in a snowflake

J’ai passé la journée à te chercher avec mes mots. Je me suis mis devant la feuille, restée quasiment vierge jusqu’à présent, à part mes quelques ratures ; j’ai buté sur nos blessures. Je me suis assis face au bureau, allongé sur le lit, réfugié sous la douche pour te trouver. Ça n’a pas marché. Alors je me suis enfui, dans le jardin à demi nu pour sentir un peu l’herbe, pour en garder la marque en brins de cicatrices éphémères. J’ai couru dans Paris, mon marathon à moi, et j’ai puisé dans le regard, les odeurs des autres toutes les traces de toi. Ça n’a pas marché. J’ai atterri aux départs, un quai de gare, où toutes les destinations jouaient à semer des indices. J’aurais pu en prendre un au hasard, mais depuis que tu n’es plus là, je me méfie des trains. Ça n’a pas marché non plus ; peut-être que tu ne voulais pas que je te trouve.

La seule phrase que je n’ai pas rayée, persuadé que ce serait la première, a continué de me narguer toute la journée. « J’ai tenté de percer les nuages avec la pointe de mon stylo ». C’est la vérité, et c’est probablement pour cela que je l’ai laissée. Ils étaient là, gris et menaçants, sans oser exploser. Des baudruches de pluie que n’importe quel gamin aurait essayé de piquer. Sauf qu’on n’a plus cinq ans, qu’on n’a plus l’âge de jouer. Enfin, c’est ce que je croyais.

Le reste de la journée s’est étiré péniblement. J’en ai disséqué des lambeaux, qui étaient autant de paliers à atteindre, comme on compte les heures lorsqu’il s’agit de s’ennuyer. Même maintenant, même si tard, je ne comprends toujours pas comment tu as su t’insinuer si profondément dans ma vie. Tu es l’arbre centenaire dans mon jardin secret, celui-là même que tu as tant foulé ; et tes racines saillent de chaque pore de mon existence, comme elles lézardent les murs, délogent les pavés, pénètrent toute la terre. Tu es à ce point enfoui dans mon esprit que ce que je parviens à défricher, je n’arrive plus à le déchiffrer.

Tu es ce rire à l’unisson avec le mien, mais silencieux, mais désormais incertain. Tu es le souvenir d’un film, d’un lieu, parfois même simplement d’un mot, d’un son, d’une expression. Tu es le sujet tabou, l’objet tentant, l’évocation volatile d’un temps qui n’est plus à nous. Tu es ça, tout ça, et ce qu’il y a autour encore.

Et puis je t’ai trouvé. Tu n’étais pas vraiment là, mais qu’importe : tu ne l’as jamais été. Mais je me suis assis sur un banc ce soir, il était tard, il faisait nuit, et à la lumière des réverbères ou d’autres néons parisiens j’ai tâché de te reprendre là où je t’avais laissé. Je t’ai attendu, le stylo mimant la voltige sur des lignes toujours vides. Et parce que tu ne me revenais toujours pas, et parce que cette lettre devait être la dernière et que de ne pas l’écrire me consumait, j’ai jeté mon crayon haut, très haut dans le ciel, avant de partir sans me retourner. J’ai espéré le bruit mat du plastique sur le bitume, mais je n’ai rien entendu.

Et puis le ciel s’est ouvert : il s’était mis à neiger.

6 Réponses to “Last letter in a snowflake”

  1. Stef Says:

    Tu fais neiger en jetant des stylos toi? On comprend mieux ce qui est arrivé il y a quelques jours du coup…

  2. luciole Says:

    Rien à dire, mais il fallait que je l’écrive quand même. Bravo

  3. mad toon Says:

    ..roulette

  4. Mathilde Says:

    Court texte mais cependant toujours emprunt de cette poésie.
    Je n’aime pas tant la « poésie » dans l’écriture : elle nous oblige à passer par bien des passages détournés et peine à nous mener à l’essentiel. Je suis de ceux qui aime les mots par et pour leur franchise ; ils doivent être crus. Mais je dois néanmoins retrouver un peu de cela dans ton écriture pour errer encore parmi tes écrits. A moins que ça ne soit cette douleur dont suintent tes mots qui fasse que je reste, que je persiste à dompter et à faire mienne ta poésie…

  5. tinissou Says:

    Stef, ma grand-mère serait là, elle te dirait que c’est toujours mieux que de faire neiger en se passant la main dans les cheveux…

    Luciole, c’est fait. Merci !

    Mathilde, je ne sais pas quoi te dire : je ne trouve pas que tes mots en manquent, de poésie, et même si visiblement c’est une insulte, pour être passé plus d’une fois sur ton blog je peux t’affirmer que tes mots ne se lisent pas toujours tranquillement, il faut les apprivoiser pour les comprendre, et ça implique de voir au-delà de ce qu’ils disent. Non, décidément je ne sais pas quoi te dire parce que tes mots peuvent tout aussi bien cacher une autre histoire que celle qu’ils racontent, et c’est aussi là pour moi de la poésie. Mais peut-être est-ce simplement une divergence de définition… 🙂
    Du coup je me sens presque obligé de te dire merci de rester « malgré tout », or je n’ai aucune envie que tu te forces à le faire : j’espère juste que si tu restes c’est aussi parce que tu apprécies un minimum ce que tu lis.

  6. Mathilde Says:

    Peut-être que mes mots ont de la poésie, mais je me garde bien de faire une quelconque analyse de mes écrits : l’auteur est le moins bien placé pour juger de ses oeuvres, ce d’autant plus qu’il est rarement satisfait de celles-ci.

    Peut-être en existe-il de plusieurs sortes, de poésie, en tout cas ce n’est aucunement une insulte que d’avoir une écriture qui en comporte.
    Si j’écris c’est simplement pour étaler ce que je ressens et, généralement, c’est à vif, d’où l’absence de ce que je « nomme » poésie et la présence de phrases plutôt courtes, sans description, avec des mots parfois crus mais surtout sans détour.

    Ce n’est aucunement une critique je te fais (et je suis mal placée pour en faire une, de quelle que sorte qu’elle soit). Tu écris bien, c’est un fait, et je continue à errer sur ton blog parce que j’aime m’abreuver de cette souffrance qui émane de tes écrits. Parce que ce n’est peut-être pas tant un ton cru et franc (et donc non emprunt de « poésie ») que je cherche dans la littérature, mais ce qui fait la vie : la souffrance et non les moments de paix…

    Merci d’errer, de temps à autres, sur mon blog et, surtout, d’écrire.

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